Au début de l’année 2008, les époux A ont financé l’acquisition de leur immeuble familial en souscrivant auprès de la banque B une ouverture de crédit garantie par une hypothèque de premier rang prise sur cet immeuble.
Deux mois après la signature de ce prêt, les premiers retards dans le remboursement des mensualités hypothécaires apparaissent.
Une première régularisation de la situation intervient mais dès le début de l’année 2010, de nouveaux retards de paiement voient le jour.
Un second plan d’apurement amiable est alors conclu entre parties mais, dès le début de l’année 2011, la banque B doit bien constater que ce second plan n’est pas du tout respecté.
Dans la mesure où ce traitement précontentieux actif mis en œuvre par la banque B n’a manifestement pas délivré de résultats satisfaisants, l’ouverture de crédit litigieuse fait alors l’objet d’une dénonciation en bonne et due forme, par application des règles contractuelles régissant les relations entre parties.
Cette dénonciation a notamment pour effet juridique de rendre le solde restant dû intégralement et immédiatement exigible, tandis que la notion d’ « arriérés de paiement » cesse de ce fait-même d’exister.
L’ouverture de crédit litigieuse va ensuite faire l’objet d’un traitement contentieux devant la Justice.
Ainsi, par application de l’article 59 de la Loi du 04-08-1992 relative au crédit hypothécaire, les débiteurs A sont appelés par la banque B à comparaitre devant le Juge des Saisies du lieu où est érigé leur immeuble, dans le cadre d’une audience de tentative de conciliation préalable à saisie-exécution immobilière.
Lors de l’audience d’introduction de cette tentative de conciliation, la banque B consent à ses débiteurs une remise à quatre mois afin de leur permettre, dans cet intervalle, de trouver un organisme de crédit concurrent qui serait disposé à refinancer les engagements litigieux ou de vendre leur immeuble en gré à gré dans de bonnes conditions.
Durant ce laps de temps, les débiteurs A ne recherchent toutefois aucun autre organisme de crédit susceptible de refinancer leur prêt et n’organisent pas davantage la vente de gré à gré de leur bien.
Dans ces conditions, lors de la nouvelle audience qui se tient à la fin du mois de septembre 2011, la banque B n’a d’autre choix que d’inviter le Juge des Saisies à acter un procès-verbal de non-conciliation.
Néanmoins, de manière assez invraisemblable, le Juge des Saisies – dont les orientations philosophiques et politiques transparaissent ici assez clairement… – indique alors aux parties qu’il « prend la cause en délibérés » (!!!)…
Le jour-même, en fin de journée, ce Magistrat prononce une… « ordonnance » au terme de laquelle :
- Il prétend notamment que la banque B abuserait de son droit en poursuivant la vente publique de l’immeuble,
- Il constate la non-conciliation des parties, et…
- Il permet aux débiteurs A, avec effet rétroactif, de s’acquitter de leur arriérés pour une date donnée, en sus de leurs échéances contractuelles ;
L’illégalité complète de cette décision et sa totale incohérence n’aura échappé à personne.
Ainsi, d’une part, une « ordonnance » – tout comme un « jugement » – est un outil juridictionnel qui ne peut être utilisé que dans le seul cadre d’une audience juridictionnelle, ce qui n’est absolument pas le cas d’une audience de tentative de conciliation préalable à saisie-exécution immobilière.
Cette ordonnance est donc illégale et fondamentalement dépourvue de tout effet de droit (l’infraction de « faux en écritures publiques » n’est d’ailleurs pas loin… – articles 193 et suivants du Code Pénal).
Seul un procès-verbal entérinant la conciliation éventuelle des parties ou actant leur non-conciliation peut être rédigé par le Juge des Saisies à l’issue d’une telle audience de tentative de conciliation (article 733 du Code Judiciaire auquel l’article 59, § 1, alinéa 1erin fine renvoie).
D’autre part, si le rôle du Juge des Saisies dans ce type d’audiences de tentative de conciliation préalable à saisie-exécution immobilière ne peut pas se résumer à celui d’un simple notaire qui consignerait la volonté ou l’absence de volonté des parties, il ne peut en revanche pas y « dire le droit » et juridiquement imposer son point de vue aux parties qui lui soumettent leur litige (de Leval, la Saisie Immobilière, Larcier, 2007, pp 175 à 177, n° 229 à 231 et nombreuses références infra-paginales).
En l’espèce, la banque B ne semble nullement abuser de son droit en mettant en œuvre la seule procédure judiciaire obligatoirement prévue par la Loi lorsqu’un prêt hypothécaire octroyé à une personne physique à des fins principalement privées (article 1 de la Loi du 04-08-1992) est mis en cause mais en outre, le temps qui a concrètement été laissé aux débiteurs A durant la phase précontentieuse ainsi que durant la phase contentieuse pour faire refinancer leurs engagements litigieux ou pour vendre leur bien de gré à gré démontre justement que la banque B n’a en rien abusé de son droit en sollicitant, après de très nombreux mois d’irrégularités et de défauts dans le paiement des mensualités hypothécaires, qu’un procès-verbal de non-conciliation puisse être acté.
De plus, constater la non-conciliation des parties mais imposer à la banque B des termes et délais à l’occasion d’une audience non-juridictionnelle est à la fois incohérent et illégal…
L’invocation de la théorie de l’abus de droit et l’imposition éventuelle de termes et délais par le Juge des Saisies à la banque B (sur base de l’article 1334 Code Judiciaire) ne pourraient en réalité se concevoir que dans le cadre d’une opposition à commandement immobilier et/ou à saisie-exécution immobilière, lesquelles procédures impliquent que le Juge des Saisies statue juridictionnellement sur les arguments qui lui sont contradictoirement et légalement soumis par les parties (de Leval, op cit).
En conclusion, entre faire de la politique dans le cadre d’une audience non-juridictionnelle ou appliquer le droit positif de manière légale et impartiale, il faut choisir… en particulier lorsque l’on est magistrat.
Olivier LESUISSE
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