Par une belle journée marquant le début d’un printemps prometteur en Pays noir, Madame X ferme la friterie qu’elle exploite sur la place de sa commune et se rend à pied au café du coin pour y prendre sa pause-déjeuner.
Peu de temps après, Madame X est alertée par la fumée abondante et les flammes imposantes qui s’échappent de sa friterie et qui finissent par complètement ravager celle-ci.
Incidemment, l’incendie a également détruit une borne téléphonique qui se trouvait à proximité immédiate de cette friterie.
L’opérateur de télécommunications à qui appartient la borne téléphonique endommagée par l’incendie de la friterie décide alors de citer Madame X en Justice, en invoquant notamment l’article 544 du Code Civil à l’appui de sa demande en indemnisation.
Après avoir initialement donné gain de cause par défaut à l’opérateur de télécommunications, le Tribunal est à nouveau saisi du dossier par Madame X, qui exerce ainsi son droit de recours sur opposition.
Après avoir écarté divers arguments dépourvus de pertinence avancés par Madame X, le Tribunal finit néanmoins par considérer que l’opérateur de télécommunications dont la borne a été détruite par l’incendie de la friterie voisine ne prouverait pas fondamentalement le fait qui se trouverait à l’origine du trouble « anormal » de voisinage ni que ce fait serait imputable au propriétaire de la friterie litigieuse (Tr. Comm. Charleroi, 3° Chambre, 08-12-2010, X c./opérateur Y – inédit).
S’appuyant sur le procès-verbal rédigé par les forces de l’ordre à l’issue du sinistre et selon lequel « il s’agirait d’un incendie d’origine accidentelle étant donné l’origine du foyer proche des cuves à huile et de la hotte », le Tribunal est d’avis que puisque le conditionnel est employé par les verbalisants, il n’existerait pas de relation (causale) entre le foyer d’incendie et la circonstance que les cuves à huile auraient été placées en mode veille par Madame X avant que celle-ci ne parte prendre sa pause-déjeuner, de sorte que la théorie des troubles de voisinage ne peut, en l’espèce, pas être valablement invoquée par l’opérateur de télécommunications qui se voit dès lors débouté de sa demande d’indemnisation…
Cette décision est assez interpellante.
En effet, par un arrêt du 3 novembre 2005 prononcé dans un cas en tous points analogue (et qui faisait d’ailleurs partie des pièces soumises par l’opérateur de télécommunications à l’appréciation du Tribunal…), la Cour d’Appel de Mons avait déjà jugé, de manière dépourvue de toute ambigüité, que :
« Pour que la théorie des troubles du voisinage puisse trouver à s’appliquer, il suffit donc, d’une part, qu’un trouble excessif soit imposé à un voisin et, d’autre part, que ce trouble soit imputable au propriétaire à la suite d’un fait, d’une omission ou d’un comportement quelconque de celui-ci ;
Que cette définition très large n’exclut donc pas qu’un incendie communiquant au fond voisin et ses conséquences ne puisse être visé par la théorie lorsque le trouble dépasse les inconvénients ordinaires du voisinage ;
Que le simple fait de commander des travaux à l’origine de la rupture d’équilibre constitue bien un comportement quelconque du propriétaire, lequel entraîne donc sa responsabilité objective ;
Que l’incendie et ses conséquences (…) a constitué pour les époux T-K un inconvénient non point anodin et passager mais bien un trouble important qui excède en tous cas les inconvénients normaux du voisinage » (Mons, 14ème Chambre, 3 novembre 2005, JLMBi 2009/10, pages 454 – 458).
Dès lors et par pure analogie, le Tribunal aurait sans doute été un peu mieux avisé de constater qu’en l’espèce « le simple fait d’exploiter une friterie à l’origine de la rupture d’équilibre constitue bien un comportement quelconque du propriétaire, lequel entraîne sa responsabilité objective » dès l’instant où cette friterie prend feu (trouble « anormal » s’il en est pour une friterie…) et endommage la propriété d’un voisin…
En ne procédant pas de la sorte mais en appliquant plutôt à la théorie des troubles de voisinage plusieurs concepts directement issus des règles de la responsabilité quasi-délictuelle (la partie demanderesse en indemnisation devrait positivement prouver l’existence d’un fait fondamentalement fautif dans le chef du propriétaire voisin et devrait établir un lien causal entre ce fait et le dommage allégué), le Tribunal a non seulement méconnu divers concepts juridiques, vidé la théorie des troubles de voisinage de l’essentiel de sa substance et superbement ignoré la jurisprudence de sa propre juridiction d’appel mais il a aussi (et peut-être surtout ?) rendu ces frites flambées définitivement indigestes… !
Olivier LESUISSE
o.lesuisse@pldavocats.be