Infraction urbanistique

Quand réparation = destruction – ou la plénitude de pouvoirs du Fonctionnaire délégué belge versus la C.E.D.H.

Années 70. Il achète un terrain marécageux et décide de le réhabiliter. Moins de 5 ans plus tard, l’endroit s’est transformé en magnifique petit havre de paix comprenant étangs, chalet pour l’un ou l’autre week-end bucolique de son propriétaire ou d’associations et œuvres sociale de la région. 30 ans plus tard, un inspecteur de l’urbanisme passe par là. Aucun permis de bâtir ? Le couperet tombe : il faut détruire. Le propriétaire est cité devant le Tribunal correctionnel où l’Administration sollicite la destruction comme mesure de réparation. S’agissant d’une infraction continue que celle du maintien d’une construction sans permis, aucune prescription n’est possible. Quid de l’abus dans cette mesure de réparation, s’apparentant à une véritable sanction disproportionnée à l’infraction reprochée et au préjudice à l’intérêt public qu’elle représente en l’espèce ? Le juge envisagera cette argumentation avec intérêt avant de la rejeter, malgré un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ouvrant une brèche dans la toute puissance urbanistique belge. Proposition de quelques-unes des motivations de ce jugement confirmé par la Cour d’Appel de LIEGE le 16 mai 2011 (mais n’ayant pas permis-cette fois ?- d’amener à un revirement jurisprudentiel) : « Attendu que jusqu’à très récemment, la doctrine et la jurisprudence (Cour constitutionnelle et Cour de cassation) belges ont pu donner à voir un tableau stable et quasi homogène, en refusant au juge pénal de pouvoir contrôler l’opportunité de la mesure de réparation demandée par le Fonctionnaire délégué (…). Attendu cependant que le prévenu invoque un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 27 novembre 2007 en cause de HAMER c/ Belgique (…) pour conclure que le juge pénal dispose bien d’un contrôle non seulement de la légalité de la mesure demandée, mais aussi de son opportunité ; Attendu qu’il faut observer que cet arrêt, rendu en matière d’urbanisme, est postérieur à toutes les références doctrinales et jurisprudentielles citées ou soumises à l’appréciation du Tribunal par le Fonctionnaire délégué ; Que la Cour a décidé qu’en la cause, le délai raisonnable avait été dépassé, et que si les juridictions belges en avaient tiré les conclusions adéquates au pénal en prononçant une déclaration de culpabilité, elles avaient, par contre, violé l’article 6§1er de la Convention européenne en condamnant la prévenue à la remise en état, s’agissant de la mesure de réparation la plus grave ; que la Cour a abouti à cette conclusion après avoir énoncé, sans vraiment le justifier, que ‘eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour considère que cette mesure de démolition peut être considérée comme une ‘peine’ au sens de la Convention’ ; Attendu que le commentateur de l’arrêt, tout en relevant son caractère nébuleux, note quand même que ‘l’arrêt HAMER c/ Belgique remet profondément en cause le régime juridique des mesures de réparation ordonnées par le juge pénal’ ; qu’il précise qu’ ‘il s’ensuit enfin que le juge doit exercer un contrôle de pleine juridiction sur la requête de l’inspecteur urbanistique ou du collège du bourgmestre et échevins sollicitant une mesure de ‘réparation’’ ; Qu’il confirme enfin que cette jurisprudence contredit celles de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle qui excluent tout contrôle juridictionnel de l’opportunité de la mesure de réparation (…) ;Attendu que la jurisprudence belge n’a pas assimilé dans le sens décrit la portée de cet arrêt (…) ; Qu’en particulier, la Cour de cassation, si elle a intégré le vocable de ‘peine’ comme s’appliquant aux mesures de réparation en cause, a très clairement délimité les conséquences qu’il y avait lieu de tirer de cette appellation, retenue par la Cour européenne, qu’ainsi se fondant notamment sur la règle essentielle de séparation des pouvoirs, la Cour de cassation réaffirme que le contrôle du juge pénal est marginal par rapport au pouvoir de choix de l’administration de la mesure de réparation la plus adaptée (…) Que le juge effectue un contrôle de légalité et d’impartialité, mais pas d’opportunité (v.not.Cass. 9 juin 2009, P.09.0023N) (…) Attendu que la mesure de réparation demandée est conforme à la loi (…) ».

Et la remise en état des lieux est ordonnée.

Et les droits de l’homme ? Pas encore…

Séverine LEFEVRE
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