Jusqu’au début de l’année 2005, le délai de prescription applicable aux factures de fourniture de services de télécommunications, de fourniture d‘électricité, de distribution d’eau, était généralement considéré comme étant de dix années, par application de l’article 2262 bis du Code Civil relatif aux actions personnelles.
La Cour de Cassation avait d’ailleurs validé cette approche juridique à diverses reprises, et notamment par le biais d’un arrêt de principe du 6 février 1998 (Cass, 06-02-1998, Pas. 1998, I, p.192 et ss + Avis de l’Avocat Général DE RIEMAECKER) ;
Ainsi, au terme de cet arrêt, la Cour de Cassation faisait sien l’avis de l’Avocat Général selon lequel « ces fournitures ne forment pas l’objet indéfiniment renouvelé d’une créance unique, déterminée dès le départ, mais constituent des ventes successives », de sorte que « les redevances sont donc autant de prix de vente, c’est-à-dire des capitaux » et décidait que « sont exclues de la prescription de 5 années prévue par l’article 2277 du Code Civil, les dettes qui constituent le prix de vente des marchandises même si le contrat prévoit le paiement annuel des fournitures », précisant même que « le fait que la réclamation d’arriérés importants pourrait causer la ruine du débiteur n’est pas un élément déterminant dans l’appréciation du caractère périodique de la dette »… ;
Toutefois par un premier arrêt prononcé le 19 janvier 2005 (arrêt numéro 15/2005, Mon. 10 mars 2005, page 10.045), la Cour d’Arbitrage (devenue Cour Constitutionnelle depuis lors) avait complètement battu en brèche la thèse soutenue par la Cour de Cassation en décidant que « l’article 2277 du Code Civil, interprété en ce sens que la prescription quinquennale qu’il prévoit s’applique aux dettes périodiques relatives à la fourniture d’eau, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution ».
Deux ans plus tard, pratiquement jour pour jour – soit le 17 janvier 2007 -, la même Cour d’Arbitrage rendait un nouvel arrêt dans le même sens, prononcé cette fois en matière de factures relatives à la fourniture de téléphonie mobile (arrêt numéro 13/2007/17.01.2007, Mon. 13 mars 2007, page 13.540).
Cet arrêt avait d’ailleurs fait l’objet, à l’époque, d’un commentaire publié dans cette même rubrique, sur ce même site.
Ceci étant, depuis l’intervention des deux arrêts précités de la Cour d’Arbitrage (Constitutionnelle), la Cour de Cassation n’avait pas encore été appelée à elle-même se prononcer sur les règles de prescription en cette matière.
C’est toutefois chose faite depuis le 25 janvier 2010, date à laquelle la Cour de Cassation a prononcé un nouvel arrêt de principe dans le cadre d’une cause opposant un débiteur de factures de téléphonie au plus gros opérateur belge de télécommunications (arrêt du 25 janvier 2010, numéro C.09.0410.F/1 – inédit).
Nous étions relativement curieux de prendre connaissance de la position actuelle de la Cour de Cassation à ce sujet dans la double mesure où, d’une part, sa propre jurisprudence de 1998 entérinait de façon relativement dogmatique le principe de la prescription décennale pour ce type de factures et non le principe de la prescription quinquennale tel qu’ultérieurement retenu par la Cour d’Arbitrage (Constitutionnelle) et où, d’autre part, les divergences de vues juridiques entre la Cour de Cassation de Belgique et la Cour d’Arbitrage (Constitutionnelle) ont été fort nombreuses ces dernières années…
Quoiqu’il en soit, la Cour de Cassation a finalement décidé de complètement revoir son ancienne jurisprudence de 1998 et s’est complètement alignée sur le point de vue défendu par la Cour Constitutionnelle en décidant que :
« Le jugement attaqué, qui constate que la demande de [la société de télécommunications] tend au paiement de factures périodiques établies pour des fournitures de téléphonie mobile à des intervalles inférieurs à une année, n’a pu, sans violer l’article 2277 du Code Civil, refuser d’appliquer la prescription liée à cette disposition aux motifs ‘’qu’en l’espèce, le décompte de [la société de télécommunication] est arrêté au 7 mars 2002’’ et que ‘’la créance est par conséquent une dette de capital et ne présente pas un caractère de périodicité’’ » ;
Considérant dès lors que le moyen de cassation, en ce qu’il visait la violation de l’article 2277 du Code Civil, était fondé et en cassant, pour ce motif, le jugement de fond entrepris, la Cour de Cassation de Belgique a définitivement validé le raisonnement de la Cour Constitutionnelle et a donc fixé à un maximum de 5 ans le délai de prescription pour le paiement de toutes les factures énergétiques au sens large (télécommunications, eau, électricité, gaz,…).
Rappelons encore qu’en matière civile, la prescription ne peut être valablement interrompue que par une citation en justice, un commandement ou une saisie signifiée à la personne que l’on veut empêcher de prescrire (article 2244 du Code Civil) et que des lettres de rappel, de mises en demeure – même par recommandé postal -, ou des sommations d’Huissier n’interrompent pas valablement la prescription…
Par voie de conséquence et afin de défendre au mieux leurs prérogatives respectives, il appartient plus que jamais aux gestionnaires juridiques des contentieux de factures énergétiques, à leurs avocats et à leurs débiteurs de se montrer particulièrement attentifs à ce délai de 5 années et aux éventuelles causes d’interruption de prescription.
A vos bouliers compteurs… !!
Olivier LESUISSE<