Plus de respect de la vie privée, à quel prix ?
Le principe de la publicité des débats judiciaires est consacré tant par notre Constitution (article 148) que par la Convention européenne des droits de l’Homme (article 6§1).
Pourtant, la loi du 02 juin 2010, publiée au Moniteur Belge du 30 juin 2010 et entrée en vigueur le 10 juillet 2010 prévoit que désormais nombre d’affaires en matière familiale ou plus généralement du droit des personnes, seront plaidées ‘en chambre du conseil’. En principe, cela signifie hors toute présence d’un quelconque public en ce compris les avocats, à l’inverse du huis clos, bien que la pratique des magistrats les assimile souvent en ce qu’ils excluent l’un comme l’autre toute présence extérieure.
L’objectif de cette inversion des principes en ces matières, puisque le huis clos devient la règle et la publicité des débats l’exception, vise à mieux protéger le droit à la dignité et au respect de la vie privée, garantie également fondamentale dans notre droit.
L’article 757 du Code Judiciaire, siège principal de cette réforme prévoit ainsi que :
« [§ 1er Sauf les exceptions prévues par la loi, les plaidoyers, rapports et jugements sont publics.
§ 2 Par dérogation au paragraphe 1er, les procédures judiciaires suivantes se déroulent en chambre du conseil, tant en première instance qu’en degré d’appel en ce qui concerne les plaidoyers et rapports: » S’ensuit une liste de matières telles que la filiation, l’action en réclamation d’une pension non déclarative de filiation, l’autorité parentale, la minorité prolongée, le conseil judiciaire, la cohabitation légale, l’adoption, la tutelle, les divorces et séparations de corps si les parties comparaissent personnellement, etc. et les procédures judiciaires connexes à une procédure visée par cette liste.
Enfin le dernier alinéa de cet article prévoit que : « Toutefois, le juge peut, en tout état de cause, en fonction des circonstances, ordonner la publicité des débats soit d’office, soit à la demande du ministère public ou d’une partie à la cause. »
In concreto, dans nos palais, chaque juge apprécie et applique ces nouvelles dispositions selon sa propre sensibilité, sa décision se concevant comme une simple mesure d’ordre sans recours possible.
Ainsi certains magistrats organisent un véritable ballet d’allers-retours entre la chambre du conseil lorsque les matières spécifiques d’un dossier contiennent des aspects requérant le huis clos et la salle d’audience publique pour entendre le reste des plaidoiries non soumises au huis clos, sans retenir de connexité en raison de la primauté de la publicité des débats et de l’interprétation stricte de ses exceptions.
D’autres par contre entendent d’office l’intégralité des débats en chambre du conseil dès l’instant où l’un des aspects de celui-ci requiert le huis clos, faisant ainsi une application extensive de la connexité.
D’autres encore appliquent à ce point largement le dernier alinéa qu’ils proposent d’office la publicité des débats sauf opposition des parties.
Et enfin chacun de réserver un sort tout aussi versatile à la présence autorisée ou pas les avocats.
Si le but de cette réforme est louable en soi, le caractère exhaustif de la liste des matières concernées par ce principe de huis clos est malheureusement parfois discutable out incomplète (quid des procédures relatives au mariage, rectification d’actes de l’état civil, pensions alimentaires de manière générale etc.) et, surtout, la perte de la publicité des débats, a fortiori face à un magistrat peu enclin à recourir au dernier alinéa de l’article 757 paraît un bien lourd tribut à payer, principalement au sein de la profession d’avocat où les instructions d’audiences, réquisitoires et plaidoiries contribuaient à la construction d’une jurisprudence transparente et cohérente .
Séverine LEFEVRE
severine.lefevre@skynet.be